Dans le cadre du séminaire de recherche « Ce qui se dit, à qui et comment » organisé par la Faculté des sciences sociales et le laboratoire Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe (Sage), Lionel Obadia, anthropologue, professeur à l’Université de Lyon, fellow de l’Institut d'études avancées de Strasbourg, animera la conférence « Échanges communicationnels et discursivités en contexte religieux : une singularité ethnographique ? ».
La nature des échanges verbaux et non-verbaux sur des terrains explorés par les ethnographes a-t-elle quelque chose de spécifique lorsque les dits terrains sont marqués par une forte détermination du religieux sur la vie culturelle et sociale ? À suivre Derrida, qui affirme (en 1998) que « parler religion c’est parler religieux » on pourrait être tenté de naturaliser le domaine des croyances sacrées et de leur discursivité en leur conférant une ontologie propre et autoreproductrice, ce qui donnerait à la communication une coloration et des finalités intrinsèquement différentes dans ce contexte. Ou suivre, à l’inverse, Favret-Saada (1977) ou plus récemment Piette (2003) pour s’appuyer sur la pragmatique pour dégager les interactions qui définissent les régimes d’existence d’un religieux marginal (la sorcellerie) ou légitime (le divin chrétien). En réalité, s’il y a bien, à n’en pas douter, une singularité du religieux en matière de communication et de discursivité sur les terrains ethnographiques, celle-ci tient à l’évidence à la logique même des croyances lorsqu’elles sont énoncées (logiques de conviction, qui sont des logiques de conversation et, dans certains cas de contestation ou à l’inverse de conversion) et à la place qu’occupent l’enquêteur et ses informateurs, dans un contexte d’interlocution lui-même façonné par des enjeux politiques et sociaux.
À partir d’exemples empruntés à plusieurs terrains – bouddhisme et chamanisme au Népal, New Age et religions alternatives en Europe et au Moyen-Orient, messianismes monothéistes en Amérique du Nord… – cette communication vise à mettre en lumière quelques mécanismes en jeu dans la communication en contexte d’ethnographie religieuse : quand les bouddhistes d’Asie dissimulent l’existence du chamanisme à l’ethnographe, quand les juifs orthodoxes donnent du monde des modèles apocalyptiques et prennent l’anthropologue à partie, et que leurs alter-egos messianiques tentent de convertir l’enquêteur (précédés dans cette voie par les bouddhistes d’Occident), quand les laïcs de tous horizons dévoilent en secret, et dans une connivence attendue, leur passion pour la gemmothérapie ou leurs croyances dans d’obscurs complots extra-terrestre, …. L’ethnologue a de quoi démêler un écheveau de plus complexes de dits et non-dits, raisons latentes et manifestes de le dire ou le cacher, de ce qui peut l’attendre sur le terrain.
Vendredi 13 février 2015 de 13 h à 15 h à la Maison interuniversitaire des sciences de l'homme - Alsace (Misha - salle de la table ronde)
Conférence ouverte à tous.